Savoir dire non

Je réponds aux questions des lecteurs de La Voce sous mon pseudonyme de journaliste (Franco Berneri-Croce)

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Dire non : Une force personnelle, un enjeu sociétal et une réflexion philosophique

Dire « non » semble être un acte simple, mais il est souvent bien plus complexe qu’il n’y paraît.

  1. Dire non : une affirmation de soi

Combien de fois avons-nous accepté une invitation, un projet ou une requête, alors qu’au fond, nous souhaitions refuser ? Le « oui » par complaisance est souvent une stratégie pour éviter les conflits, mais il peut rapidement devenir un renoncement à soi-même.

Chez les jeunes enfants, le « non » apparaît généralement entre 18 mois et 3 ans, une période souvent appelée la phase d’opposition. À cet âge, l’enfant commence à développer une conscience de lui-même en tant qu’individu distinct de ses parents. Dire « non » devient alors une manière d’explorer cette autonomie naissante et d’affirmer sa propre existence.

À l’adolescence, le « non » réapparaît de manière plus marquée, mais avec des enjeux différents. L’adolescence est une période de transformation physique, émotionnelle et cognitive, où l’individu cherche à se définir par rapport au monde et aux figures d’autorité, en particulier les parents.

Puis, plus tard, devenu adulte, pour se sociabiliser, l’être humain, a tendance à privilégier le « oui » car le « non » a une résonance sociale et culturelle généralement péjorative.

  1. Plus qu’un simple mot

Cependant, toutes les cultures ne considèrent pas le « non » de la même manière. Prenons l’exemple du Japon, où le refus explicite est rarement utilisé. Dans la culture japonaise, dire « non » est perçu comme une forme d’affront ou de manque de considération pour l’harmonie sociale. À la place, les Japonais préfèrent des expressions plus nuancées comme « cela pourrait être difficile » ou « je vais y réfléchir ». Ce refus indirect reflète une priorité donnée à la préservation des relations et au respect mutuel, mais il peut aussi entraîner des malentendus dans les échanges interculturels.

Ainsi, dire « non » est un acte à la fois personnel, culturel et social. Dans certains contextes, il s’agit d’un outil d’affirmation individuelle, tandis que dans d’autres, il doit être enveloppé dans des formes plus diplomatiques pour préserver une forme de politesse.

  1. Le « non » comme outil philosophique

Dans la sphère philosophique, le « non » occupe une place centrale. Le philosophe Alain résumait cette idée en affirmant : « Penser, c’est dire non ». Pour lui, penser ne consiste pas simplement à accepter des idées ou des faits tels qu’ils nous sont présentés, mais à interroger, critiquer et refuser ce qui ne résiste pas à l’épreuve de la raison. Dire « non », dans ce cadre, est un acte intellectuel fondamental, une manière de se libérer des dogmes et des conformismes.

Ce refus n’est pas une posture de rejet systématique, mais une étape nécessaire pour accéder à une pensée authentique. Dire « non », c’est ouvrir un espace pour la réflexion, l’imagination et la création. C’est refuser d’accepter les évidences sans les examiner, de se soumettre aveuglément à l’autorité ou de suivre les opinions majoritaires sans discernement.

Pour Camus, dans L’Homme révolté, dire « non » est un acte fondateur de la révolte humaine. Ce refus est une manière de s’opposer à l’absurde de l’existence, aux injustices ou aux oppressions. Cependant, ce « non » n’est pas un simple rejet, mais une affirmation d’un désir de sens et de dignité. La révolte camusienne, en disant « non », dit aussi « oui » à la solidarité, à la justice et à une forme d’humanisme lucide. Le « non » devient ici une force constructive, une manière de tracer un chemin vers une vie authentique malgré l’absurdité de la condition humaine.

  1. Dire non : un équilibre à trouver

Si le « non » est un acte d’autonomie, il peut aussi devenir destructeur s’il est utilisé de manière systématique ou arbitraire. Dire « non » sans discernement peut isoler, rompre des liens précieux ou bloquer des opportunités. À l’inverse, un « oui » automatique mène souvent à l’épuisement ou à la frustration.

Le défi consiste à trouver un équilibre entre le « oui » et le « non ». Il ne s’agit pas de refuser pour le principe, mais de faire des choix alignés avec ses valeurs, ses priorités et le contexte culturel dans lequel on évolue. Cela demande une réflexion sur ce que l’on veut vraiment et une capacité à communiquer son refus de manière respectueuse et constructive.

Conclusion : Le pouvoir de dire non

Dire « non » est bien plus qu’un simple refus. C’est un acte personnel d’affirmation, un levier de transformation sociale et un outil philosophique de critique et de réflexion. Qu’il s’agisse de fixer des limites dans nos vies personnelles, de résister à des injustices collectives ou de questionner les dogmes, le « non » est une force essentielle.

Alors, la prochaine fois que vous hésiterez à dire « non », souvenez-vous des mots d’Alain : « Penser, c’est dire non. » Et peut-être, en disant « non », affirmerez-vous aussi quelque chose de beaucoup plus grand : votre liberté.

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L'auteur : Franck Senninger

Franck Senninger est écrivain et médecin. Il écrit plus particulièrement des romans (Prix Littré, Prix du Rotary international, sélection au Prix Tangente de lycéens 2022), des nouvelles (Prix Cesare Pavese, Prix Città di Cattolica), des ouvrages de psychologie et de vulgarisation médicale. Ses livres sont actuellement traduits en italien, espagnol, portugais, polonais et en arabe. Il est membre de l'Académie Littré et ancien président du jury français du Prix Cesare Pavese (Italie). Il est aussi journaliste pour La Voce, le magazine des Italiens en France et cofondateur de l'Alliance italienne universelle, une association qui réunit les fils de l'Italie. Il donne régulièrement des conférences à l'Université Inter-Âge de Créteil, à l'Université inter-âge de Noisy-le Grand et à l'Université Paris-Est Créteil. Petit-fils de philosophe, trois générations de médecins l'ont précédé ce qui explique sans doute son attrait partagé pour la plume et le stéthoscope.

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