Ce matin, je me promenais muni de mon attestation et de mon masque dans les rues désertes de la ville et j’ai trouvé par terre une lettre que j’aimerais vous faire partager. Je ne sais ni d’où elle vient, ni comment elle est arrivée devant mes pieds, à moi, plutôt que devant ceux de son destinataire.
La voici :
Mon cher ami et cher confrère,
Nous sommes des hérétiques !
Tu me connais certainement, mais permets-moi de te rafraîchir un peu la mémoire.
Je me nomme Ignace Semmelweis et je suis né en 1818 en Hongrie à Ofen, aujourd’hui la partie Buda de Budapest. Une fois mon diplôme de médecine obtenu, je me suis spécialisé en obstétrique et je suis parti exercer à Vienne.
Là, dans l’hôpital général, j’ai remarqué que le nombre des femmes qui mouraient de fièvre puerpérale (après accouchement) différait d’un service à l’autre, et cela dans un rapport de un à six. Je ne comprenais pas pourquoi jusqu’au décès de mon ami Kolletschka, un professeur comme toi, mais qui enseignait l’anatomie. Il avait succombé à une blessure provoquée par un scalpel au cours de la dissection d’un cadavre. Les larmes dans les yeux, j’ai participé à l’autopsie de ce cher Kolletschka et j’ai découvert qu’il avait mêmes lésions que celles retrouvées sur les patientes mortes en couche.
Je me suis dit alors que c’était nous, les médecins, qui véhiculions « une substance cadavérique » des macchabées jusqu’aux parturientes – je crois que c’est le terme en français pour les femmes qui accouchent – et qu’elles décédaient des suites de ce contact.
Pour vérifier cette hypothèse, j’ai préconisé un lavage des mains pendant cinq minutes avec une solution désinfectante entre le moment des dissections de cadavre et celui de l’examen gynécologique des patientes. Le taux des décès a alors chuté alors dans un rapport de 1 à 10. C’est-à-dire qu’il y avait dix fois moins de décès avec le lavage des mains que sans désinfection.
Tu imagines ma stupeur et mon excitation. Tu sais à quel point nous sommes heureux à l’idée que nos recommandations puissent sauver des vies !
Hélas ! Trois fois hélas ! Cette découverte a attiré sur moi les foudres de mes pairs. Loin d’être convaincus et plutôt que de reconnaître la possibilité qu’ils puissent être à l’origine des décès des parturientes en véhiculant des particules invisibles, ils ont préféré se retrancher derrière la théorie des « quatre humeurs fondamentales ». Une théorie émise par Hippocrate et qui date du Ve siècle av. J.–C. !
Pis encore ! Lors des congrès et des conférences qui suivirent ma découverte, je me suis fait railler, ridiculiser. Comme toi, je n’avais pas la langue dans ma poche. J’ai tempêté, j’ai défendu « bec et ongles » les résultats de mes recherches. Il suffisait de compter les morts !
On m’a mis à l’écart.
Mes amis m’ont conseillé un voyage. Comme si un voyage pouvait effacer de mon esprit les milliers de femmes qui allaient mourir faute de suivre mes recommandations pourtant si simples et si peu coûteuses.
On m’a alors interné dans un asile psychiatrique le Niederösterreichische Landesirrenanstalt. Pour justifier cet internement contre ma volonté, on m’a taxé de démence sénile. De démence sénile ! Alors que j’avais 47 ans ! Quelle abjection !
Je me suis défendu. J’ai crié mes convictions… dans le néant.
Ils m’ont enfermé.
Ils m’ont attaché.
Ils m’ont battu à mort.
Le 13 août 1865, deux semaines seulement après mon admission, Dieu m’a rappelé à Lui. Lors de mon autopsie, on a retrouvé de nombreuses marques de coups sur mon corps, avec des foyers d’infection. On a même retrouvé une gangrène à ma main droite.
Ah ! mon cher ami, tu te demandes sans doute pourquoi je t’écris de là-haut ?
C’est pour te dire que depuis l’Antiquité rien n’a changé. Comme l’écrit si bien ton compatriote Edmond Rostand dans Cyrano de Bergerac le Mensonge, les Compromis, les Préjugés et les Lâchetés l’emporteront toujours. C’est un combat perdu d’avance, mais comme il l'écrit si bien : on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
Et dans ce combat, je suis avec toi, mon cher ami. Je parle en connaissance.
Nous sommes des hérétiques mon cher Didier – permets-moi de t'appeler par ton prénom –. Nous avons notre propre choix de penser !
Garde ton panache !
Bravo
aLAIN
Merci Alain !
C’est excellent, mon cher…c’est tout à fait ce que j’aime.
J’en suis très heureux !
Bien vu… mais combien ont été visionnaires et se sont fait « lynchés » sur la place public.
Il ne fait pas bon être en avance sur son temps en ce monde.
Belle lettre de soutien à un confrère.
Merci Valérie. Il ne fait jamais bon de penser différemment…
C est une lettre qui me bouleverse. Merci Mr Senninger pour ces mots si bien écrits
Merci pour votre retour. Dans le même ordre d’esprit, il y a mon livre « Je m’appelle Aspasie » avec la mort de Socrate qui se suicide pour une raison autre que celle donnée habituellement. Une autre raison plus triste et plus humaine.
Quel beau texte, bouleversant, tellement vrai, avoir raison tout seul vous expose à la vindicte de vos pairs. Galilée, Darwin, Semmelweis, Céline, et bien d’autres …
Merci pour ce beau commentaire !
Texte remarquable, très éloquent, troublant et qui fait réfléchir…
Merci pour ce retour si agréable !
Merci, ça nous fait réfléchir sur la situation actuelle.
En effet !
Et bien mon ami, vous allez tomber de bien haut… (parole de médecin)… je peux vous donner les dernières études prouvant l’inefficacité du ttt (in vivo) du Prof Long-ch’veux. Par ailleurs comparaison n’est pas raison… Moi qui viens de terminer la thèse de Destouches trouve ridicule de comparer un homme qui a fini fou, honni par ses pairs et dans la déchéance absolue, à ce clown qui ne cesse de se lancer des fleurs à chaque fois qu’on lui en offre l’occasion… Par ailleurs, médicalement parlant, il ne fait que répéter des lieux communs et d’enfoncer des portes ouvertes… Oh, Céline rirait bien…
Raoult la star de YouTube!
Oui, je suis au courant des publications du Lancet. Par ailleurs, il y a plein de traitements prescris par des médecins qui ne sont que peu ou très peu efficaces, sans pour autant soulever autant de lances contre ceux qui les prescrivent. Mon article soulevait aussi ce fait. Pour ce qui est de l’action réelle ou pas, je n’ai pas d’expérience propre sur ce sujet pour me faire un idée suffisamment précise.
Merci en tout cas de votre commentaire.
Merci pour ce texte, agréable à lire et qui donnerait bien à réfléchir à beaucoup. Pour autant, même si le combat semble perdu d’avance, le nombre et l’union me fond garder l’espoir.
On est malheureusement tombé dans la croyance et non plus dans la science…