De l'amour au désir
Depuis l'Antiquité, la figure d'Éros oscille entre divinité primordiale et personnification du manque et du désir. Chez Hésiode, il est une force universelle qui engendre la cohésion du monde, tandis que Platon, dans Le Banquet, en fait un être intermédiaire entre l'homme et le divin, poussé par le manque. Entre ces deux visions, une troisième version attribue Éros à Aphrodite, réconciliant le principe cosmique avec la beauté et la sensualité. Comment concilier ces différents visages d'Éros et comprendre cette évolution de l'amour cosmique au désir existentiel ?
Éros, une puissance primordiale
Dans La Théogonie d'Hésiode, Éros fait partie des forces originelles du cosmos, aux côtés de Chaos et Gaïa. Il est le principe d'attraction qui permet aux êtres de s'unir et d'engendrer la vie. Il n'est pas encore le désir insatisfait, mais plutôt une énergie féconde et universelle. Cette vision fait d'Éros un élément nécessaire à l'ordre du monde, une force de cohésion et de perpétuité.
L'Éros fils d'Aphrodite : une transition vers le désir
Avec l'évolution des mythes, Éros est parfois présenté comme le fils d'Aphrodite, déesse de la beauté et de l'amour, et d'Arès, dieu de la guerre. Cette naissance lui confère une double nature : à la fois force irrésistible et tension entre attraction et passion. Contrairement à l'Éros primordial, cette version introduit une dimension plus intime et humaine, liant Éros à la séduction et au désir charnel. Aphrodite, représentation de l'idéal esthétique et sensuel, agit comme un pont entre le principe cosmique et le désir individuel, inscrivant ainsi l'amour dans la relation entre les êtres.
L'Éros de Platon : du mythe à la philosophie
Platon, dans Le Banquet, développe une conception bien différente d'Éros. Ce dernier n'est plus une divinité toute-puissante, mais un daïmon, un être intermédiaire entre les dieux et les hommes. Selon la prêtresse Diotime, il naît de l'union de Pénia (la Pauvreté) et Poros (la Richesse) lors d'un banquet en l'honneur d'Aphrodite. Poros, fils de Métis (la Sagesse et la Ruse), incarne la plénitude et la capacité d'acquérir des ressources. Cette filiation ajoute une dimension philosophique importante : l'Éros platonicien n'est pas simplement le désir du manque, mais aussi la faculté de se réinventer, de trouver des moyens d'atteindre ce qui nous échappe.
L’amour, pour Platon, n’est pas simple possession, mais tension vers un idéal. C'est une dynamique qui pousse l'être humain à rechercher la beauté, la vérité et le savoir. Ainsi, l'amour platonicien est une ascension spirituelle, un chemin qui mène de l'attirance physique vers la contemplation des Idées.
Deux facettes du désir : cosmique et humain
Comment réconcilier ces différentes visions ? L'une, hésiodique, voit en Éros une force universelle et stable, tandis que l'autre, platonicienne, en fait un mouvement perpétuel entre manque et plénitude. La version où Éros est le fils d'Aphrodite introduit un élément intermédiaire : celui de la beauté et du plaisir comme catalyseurs du désir.
Une manière de les unir serait de voir l'Éros primordial comme l'énergie qui sous-tend l'existence même, l'Éros aphroditique comme le passage par la sensualité et l'attirance charnelle, et l'Éros platonicien comme la manifestation humaine de cette force à travers la quête intellectuelle et spirituelle.
L'ajout de Poros, fils de Métis, enrichit cette compréhension : le désir ne se résume pas à une simple privation, il est aussi animé par une intelligence stratégique qui permet d'aller au-delà du manque. L'Éros platonicien n'est donc pas uniquement une tension douloureuse, mais aussi une force créatrice qui pousse l'âme à chercher des solutions et à se dépasser.
Ainsi, l'amour et le désir ne s'opposent pas, mais se complètent. L'amour universel d'Éros primordial est le fondement du monde, tandis que le désir d'Éros platonicien est ce qui anime chaque être à poursuivre la beauté et la connaissance. L'intermédiaire incarné par Aphrodite donne au désir une dimension incarnée et sensuelle, permettant ainsi à l'homme d'expérimenter la beauté avant de s'élever vers un idéal plus abstrait.
Le désir est donc à la fois manque de ce que l'on n'a pas et richesse sans limite de ce que l'on voudrait. Cette double nature d'Éros illustre toute la complexité du désir humain : à la fois force motrice et manque à combler, élément fondateur et aspiration infinie.
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Mythologos de Franck Senninger
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