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Décembre – 2024 – Janvier 2025
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Bas les masques : entre être personne et être quelqu’un
Le mot « personne » tire son origine du masque de théâtre, symbolisant les rôles que nous jouons dans la société. Tandis que la personne incarne cette multiplicité et cette adaptabilité, l'individu se définit par son unicité et son essence immuable. À travers les figures d'Ulysse et du Capitaine Nemo, nous explorons ces deux facettes de l'identité humaine.
Le masque de la personne : une multiplicité d'identités
Le terme « personne » trouve ses racines dans l'étrusque persona, qui désignait le masque utilisé par les acteurs de théâtre pour exprimer des émotions de manière exagérée, permettant ainsi à chaque spectateur de comprendre l'intrigue, même de loin. À travers les âges, ce terme a évolué pour désigner l'acteur lui-même, et par extension, tout être humain. La « personne » devient alors une figure aux multiples facettes, capable de se transformer et de s'adapter aux exigences de son entourage. Cependant, cette multiplicité commence aussi à refléter une certaine dilution de l'identité, car elle n'est plus vue comme unique ou constante, mais plutôt comme changeante et adaptable. En se détachant de l'idée d'un rôle ou d'une identité fixe, la « personne » devient une sorte de concept générique, un terme qui peut désigner n'importe qui avec des une multitude de personnalité potentielle, comme les acteurs.
Cette notion est illustrée par le personnage mythologique d’Ulysse dans l’Odyssée d’Homère. Ulysse, célèbre pour son intelligence et sa ruse, incarne la multiplicité de la « personne » lorsqu’il se présente au cyclope Polyphème sous le nom de « Personne ». En se nommant ainsi, Ulysse adopte un masque, effaçant son identité pour tromper son adversaire et démontrant que la « personne » est une construction adaptable et flexible, façonnée par les contextes sociaux et les nécessités de survie. Lorsque Polyphème accuse Personne de l’avoir aveuglé, on lui répond que si c’est personne alors on ne peut rien pour lui.
L'individu : une essence indivisible
Contrairement à la « personne », l’« individu » est souvent perçu comme une entité unique et indivisible – individu et indivisible ont la même racine – caractérisée par une essence immuable. L’individu est défini par sa continuité interne et sa cohérence, indépendamment des rôles sociaux ou des attentes extérieures. Dans la littérature, le Capitaine Nemo, personnage de Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne, incarne cette idée d’individualité.
Le nom « Nemo » lui-même, signifiant « Personne » en latin, est un choix symbolique : il représente à la fois l’absence d’identité sociale et l’affirmation d’une existence unique et indépendante. Nemo choisit de vivre isolé sous les mers, en dehors de la société et de ses conventions, affirmant ainsi sa singularité et son refus de se conformer aux rôles imposés par le monde extérieur. Contrairement à Ulysse, qui manipule son identité pour s'adapter aux circonstances, Nemo reste fidèle à ses principes et à sa propre vision du monde, rejetant tout masque social.
Entre masque et unicité
Cependant, la frontière entre la personne et l’individu n’est pas aussi nette qu’elle semble l’être. Même les figures littéraires les plus emblématiques de l’individualité, comme Nemo, présentent une certaine forme de pluralité. Nemo est à la fois un scientifique, un explorateur, un rebelle et un homme marqué par ses expériences passées. Cette complexité soulève une question fondamentale : l’individu est-il vraiment une entité indivisible ou est-il, comme la personne, une combinaison de multiples facettes moins visibles ?
Chez Jung
Pour Jung, la persona est un « masque » que l'individu porte pour s'adapter aux attentes de la société et pour se conformer aux rôles sociaux. Ce masque n'est pas nécessairement une tromperie consciente ; il s'agit plutôt d'une interface entre l'individu et le monde extérieur, un compromis entre l'individu et la société. Jung contrebalance la persona avec un autre concept clé : l'ombre. L'ombre représente les aspects inconscients de la personnalité qui sont réprimés ou ignorés parce qu'ils ne sont pas conformes à l'image que l'individu souhaite projeter ou aux attentes sociales.
Conclusion
La persona, qu'elle soit vue à travers le prisme de son origine théâtrale ou des concepts psychanalytiques de Jung, représente une facette essentielle de notre identité humaine, oscillant entre affirmation et négation. Elle est un masque social, une adaptation nécessaire qui nous permet de communiquer dans le monde et de répondre aux attentes extérieures.