Quand Eris hérisse

Entre beauté, pouvoir et sagesse : le dilemme de Pâris

L’histoire de la pomme de discorde est l’un des récits les plus célèbres de la mythologie grecque. Cette histoire, qui mène à la guerre de Troie, met en scène des valeurs fondamentales de l’humanité : le pouvoir, la sagesse et l’amour. Mais au-delà de la légende, elle pose aussi une question philosophique essentielle : comment prendre une décision lorsque chaque choix implique un sacrifice ?

Le concours divin : trois déesses, un seul vainqueur

Lors des noces de Thétis et Pélée, Éris, la déesse de la discorde, jette au milieu des invités une pomme d’or sur laquelle est inscrit : « À la plus belle ». Aussitôt, trois divinités revendiquent le titre : Héra, l’épouse de Zeus, Athéna, la déesse de la sagesse, et Aphrodite, la déesse de l’amour.

Pour trancher, les déesses choisissent comme arbitre Pâris, un jeune prince troyen d’une grande beauté. Chacune tente de le séduire à sa manière :

• Héra lui promet la richesse et le pouvoir absolu.
• Athéna lui garantit la sagesse et la réussite dans tous les domaines.
• Aphrodite lui offre l’amour de la plus belle femme du monde, Hélène.

Face à ces offres alléchantes, Pâris choisit l’amour et attribue la pomme à Aphrodite. Ce choix aura des conséquences désastreuses : Hélène est déjà mariée au roi Ménélas, et son enlèvement par Pâris déclenchera la guerre de Troie.

Un dilemme intemporel : quelle est la meilleure promesse ?

Ce récit mythologique est bien plus qu’une simple querelle divine. Il illustre un dilemme universel : lorsqu’on doit choisir entre plusieurs options séduisantes, quel critère adopter ?

• Le pouvoir et la richesse (promis par Héra) offrent la stabilité et la reconnaissance sociale, mais suffisent-ils à combler l’existence ?
• La sagesse et l’intelligence (promises par Athéna) garantissent la connaissance et la maîtrise de soi, mais sont-elles la clé du bonheur ?
• L’amour et la passion (offerts par Aphrodite) procurent une joie immédiate, mais peuvent conduire au chaos.

Le choix de Pâris révèle la complexité des décisions humaines : en préférant l’amour, il cède à un sentiment fort, gratifiant, exaltant, mais éphémère. Cette décision, guidée par le désir, entraîne des conséquences incontrôlables.

L’enseignement philosophique : le poids des choix

La pomme de discorde est une métaphore de la vie elle-même : nos choix ont des répercussions qui dépassent parfois notre propre destin. En cela, Pâris incarne l’humain face à des décisions qui l'engagent au delà du présent, souvent influencées par des désirs immédiats plutôt que par une réflexion à long terme.

Les philosophes ont souvent débattu de cette notion :

• Platon aurait sans doute prôné la sagesse d’Athéna, estimant que la connaissance est la clé de l’élévation de l’âme. Pourtant, l’Ecclésiaste de la Bible aurait refusé ce choix, affirmant que « Celui qui augmente sa science augmente sa douleur » (Ecclésiaste 1:18). Selon lui, la sagesse est un fardeau qui rend l’homme conscient de la vanité du monde.
• Machiavel aurait pu soutenir le choix de Héra, voyant dans le pouvoir un outil pour façonner son propre destin. Mais Diogène de Sinope, philosophe cynique, aurait tourné en ridicule cette ambition, préférant une vie simple et détachée des richesses et des honneurs.
• Rousseau aurait peut-être défendu Pâris, considérant que l’amour véritable est un moteur essentiel de l’existence humaine. À l’inverse, Schopenhauer, pessimiste radical, aurait rejeté cette idée en expliquant que l’amour n’est qu’une illusion dictée par l’instinct biologique, menant à plus de souffrance que de bonheur.

Finalement, la pomme d’or d’Éris n’est pas seulement un instrument de discorde : elle symbolise le dilemme de toute existence. Comme Pâris, nous sommes confrontés à des décisions où chaque option a ses attraits et ses dangers. La vraie sagesse ne résiderait-elle pas dans la capacité à équilibrer ces différentes forces plutôt que d’en privilégier une seule ?

Qu’en pensez-vous ? Auriez-vous fait le même choix que Pâris ?