Actéon et Artémis : Entre désir, insouciance et démons intérieurs
L’histoire d’Actéon et d’Artémis est un mythe où la beauté divine, les pulsions humaines et les interdits personnels s’entrelacent dans une tragédie poignante. En surprenant la déesse nue, Actéon devient une proie, non pas de la colère divine, mais de ses propres démons, de ses propres interdits. Actéon et Artémis : le récit d’une transgression fatale.
Un chasseur chassant chassé doit savoir chasser sans ses chiens
Actéon, jeune chasseur au nom évocateur signifiant « celui qui habite le rivage », arpentait un jour les bois accompagné de sa meute de chiens. En s’aventurant près d’une grotte, il aperçoit un spectacle inattendu et sublime : la déesse Artémis, sœur jumelle d’Apollon, se baignait nue avec ses nymphes dans l’onde claire de la source Parthénius. Fasciné par la beauté divine d’Artémis, Actéon reste immobile, comme figé par la vision, son nom suggérant qu’il est ancré sur le rivage.
La déesse évidemment s’en aperçoit, on ne peut rien lui cacher, et elle le change en cerf. Que fait Actéon ? Il s’enfuit à travers les bois et il se fait dévorer par ses chiens.
Artémis, vierge de toute culpabilité
Contrairement à l’image souvent véhiculée d’Artémis comme une éternelle vierge austère et inaccessible, ce mythe met en lumière un autre aspect de la déesse. Artémis n’est pas une gardienne farouche de sa virginité physique, mais une figure vierge de toute culpabilité.
Son bain dans la source Parthénius (dont le nom signifie « virginité ») symbolise une pureté exempte de honte ou de tabou. Artémis est innocente, non parce qu’elle rejette le plaisir, mais parce qu’elle ne porte pas le poids des interdits humains. Son insouciance se manifeste également dans sa relation avec Orion, son amant et compagnon de chasse, avec qui elle parcourt les montagnes, allant « de plaisir en plaisir ».
Cette insouciance contraste avec l’état d’Actéon, figé par les interdits sociaux et personnels, par son surmoi comme dirait Freud. Là où Artémis vit pleinement ses plaisirs sans entrave, Actéon est paralysé par sa censure intérieure, incapable de concilier ses pulsions et les normes qui lui sont imposées vis à vis des dieux.
Symbolisme
Le mythe d’Actéon est riche en symboles, chaque élément renforçant la profondeur de l’histoire.
Le cerf : la virilité exacerbée
En transformant Actéon en cerf, Artémis intensifie son désir. Le cerf, souvent associé à la puissance sexuelle et à la vitalité, devient ici une métaphore de l’érection : un désir puissant mais incontrôlé. Cette transformation montre comment Actéon, submergé par ses pulsions, perd le contrôle de lui-même.
Les chiens : les démons chtoniennes
Les chiens, associés aux divinités chtoniennes, souterraines et infernales symbolisent les forces inconscientes qui habitent Actéon. Le fait qu'ils dévorent leur maître ne signifie pas seulement une mort physique, mais illustre comment les propres démons – la culpabilité, la bienséance et les normes sociales – peuvent détruire. Actéon est littéralement consumé par sa censure intérieure, incapable d’assumer son désir face à la figure insouciante et libérée qu’est Artémis.
La grotte et la source : une pureté inaccessible
Artémis se baigne dans une grotte, un lieu caché et difficile d’accès, évoquant un idéal de pureté et d’innocence que l’homme, alourdi par sa culpabilité et ses interdits, ne peut atteindre. Ce cadre souligne la distance entre l’insouciance divine et les tourments humains.
Une réflexion philosophique
Le mythe d’Actéon peut être éclairé à travers les réflexions de Nietzsche, notamment dans son analyse de la morale et de la culpabilité.
Pour Nietzsche, les interdits culturels et religieux imposent une censure sur les pulsions humaines, créant un ressentiment qui finit par détruire l’individu. Actéon illustre cette tension : incapable de céder à son désir ou de l’assumer, il devient la proie de sa propre autocensure. Son destin tragique incarne le poids de la morale, qui transforme une pulsion naturelle en un démon destructeur. Ce conflit entre l’apollinien et le dionysiaque est au cœur de la tragédie grecque. Actéon est détruit parce qu’il n’a pas su intégrer ces deux aspects de son être : il est à la fois fasciné par la beauté divine (apollinien) et submergé par ses instincts (dionysiaque).
À l’inverse, Artémis incarne une forme de liberté nietzschéenne. Elle vit sans honte ni culpabilité, poursuivant ses plaisirs et ses désirs sans être alourdie par les normes humaines. Sa relation avec Orion, son amant, illustre une harmonie entre la jouissance et la liberté, une quête toujours plus élevée, symbolisée par les montagnes qu’ils parcourent ensemble.
Sigmund Freud aurait vu dans le mythe d’Actéon une métaphore du refoulement des pulsions . Actéon, en fixant son regard sur Artémis, exprime un désir interdit, mais au lieu de l’assumer, il en devient la victime.
La transformation en cerf reflète l’intensité de ses instincts, qui se retournent contre lui sous la forme de chiens, associés aux divinités chtoniennes. Ces chiens symbolisent les forces inconscientes et refoulées qui finissent par l’engloutir. Dans cette lecture, le mythe devient une illustration des dangers de la censure intérieure et de la répression des désirs. En ce sens, il illustre le surmoi freudien.
L’histoire d’Actéon est une tragédie universelle, où le désir rencontre les limites imposées par la société et l’individu lui-même. Actéon, en restant figé face à Artémis, devient une victime de ses propres blocages. Il est incapable d’assumer son regard, son désir, et sa fascination, laissant place à une culpabilité qui le consume.
Artémis, au contraire, est une figure d’insouciance et de liberté. Elle est vierge, non pas par rejet des plaisirs, mais parce qu’elle vit dans une innocence exempte de culpabilité. Ce contraste met en lumière la tension entre les normes humaines, alourdies de responsabilités, et une insouciance divine qui semble inaccessible.
Conclusion : Actéon et Artémis, un miroir de la condition humaine
Le mythe d’Actéon et d’Artémis transcende son cadre mythologique pour offrir une réflexion profonde sur la condition humaine. Actéon illustre la tragédie de l’homme moderne, en proie à ses interdits et à ses démons intérieurs, tandis qu’Artémis incarne une insouciance divine, affranchie des contraintes de la culpabilité et de la morale.
Ce mythe invite à questionner notre rapport aux pulsions, à la liberté et aux normes : pouvons-nous, à l’image d’Artémis, vivre nos désirs sans honte, ou sommes-nous condamnés, comme Actéon, à devenir la proie de nos propres craintes et interdits ? Le mythe, riche en symboles et en leçons, continue de résonner dans nos vies, révélant l’éternel conflit entre insouciance et culpabilité.
*
Article précédent : Jacinthe
Mythologos de Franck Senninger
Milon de Crotone a gagné les Jeux olympiques de lutte dans la catégorie des plus jeunes quand un « inconnu » du nom de Pythagore lui annonce qu’il ne remportera plus jamais de victoires à moins qu’il ne suive ses conseils.
Commence alors, une véritable initiation au travers des plus grands mythes grecs, dont le sens caché lui est peu à peu révélé. Il deviendra alors le plus grand athlète de tous les temps au palmarès inégalé.
Mais le bonheur a un prix…