Interview postume de Amedeo Clemente Modigliani
Mon interview d'une célébrité dans La Voce de juin-juillet 2022 (pseudonyme Franco Berneri-Croce)
Franco Berneri-Croce : Bonjour, cher Maître, je vous remercie de recevoir le magazine La Voce dans votre résidence du 20e arrondissement parisien où vous vous reposez désormais.
Amedeo Modigliani : J’aime bien votre euphémisme… Oui, je me repose en effet au Père-Lachaise depuis 1920. J’y ai été invité par la mort à l’âge de 36 ans et n’en suis plus ressorti depuis.
FBC : Votre premier prénom Amedeo signifie « aimé de Dieu » et pourtant la vie n’a pas été clémente avec vous comme pouvait le laisser présager votre second prénom.
AM : Oui, je partage avec Amedeus Mozart le triste privilège de ce prénom. Malheureusement, s’il semble mener à la gloire, il conduit plus rapidement encore au cimetière. A la maison on me surnommait Dedo, ce qui ne veut rien dire et me correspond mieux.
FBC : Vous avez en effet succombé bien précocement. Il faut dire que vous ne vous êtes pas beaucoup ménagé.
AM : C’est vrai. Pourtant, tout avait bien commencé. Je suis né à Livorno en Toscane, d’un père italien et d’une mère française, Eugénie Garsin. Mon grand-père Isaac m’a enseigné l’art et la philosophie durant mes plus jeunes années. Et puis, je suis devenu un enfant maladif enchaînant les infections, tout d’abord une pleurésie puis une fièvre typhoïde avec de nouveau des complications pulmonaires, tuberculose, pleurésie. Je ne compte plus mes maladies. Enfin, vous êtes docteur, vous savez ce que c’est…
FBC : Oui, une fragilité des poumons ! Quand vous êtes-vous mis à peindre ?
AM : J’ai commencé par le dessin avec Guglielmo Micheli à la Villa Baciocchi à Capanolli, toujours en Toscane. Puis, je me suis perfectionné dans l’art de la peinture à Rome, à Florence, à Sienne, à Venise.
FBC : Quand êtes-vous arrivé en France ?
AM : À l’âge de 22 ans en 1906. Je me suis inscrit à l’Académie Calarossi et je me suis installé à Montmartre. Mais j’avais la bougeotte, je changeais souvent de toit, surtout par manque de moyens. En fait, je n’arrivais pas à payer mes loyers. Le plus souvent j’habitais dans le quartier de Montparnasse.
FBC : Vous vous êtes consacré également à la sculpture.
AM : Oui, sans beaucoup de succès. Pas plus que mes peintures à vrai dire. J’avais une prédilection pour la sculpture, mais les poussières de la pierre taillée m’irritaient les bronches et j’ai dû arrêter.
FBC : Vous vous êtes liés avec Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Vlaminck, Picasso… que de grands noms.
AM : Oui, c’est l’époque où j’ai rencontré Béatrice Hasting, une Anglaise. Notre relation était souvent houleuse, mais elle a su tirer le meilleur de moi-même sur le plan artistique. Quand j’étais sobre, je pouvais déclamer du Dante.
FBC : Votre vie amoureuse a été aussi mouvementée ?
AM : Mouvementée et triste à l’image de ma vie. J’ai mis enceinte une autre de mes conquêtes, Simone Thiroux, même si j’ai refusé de reconnaître l’enfant. Il faut dire que j’avais rencontré une jeune étudiante à l’Académie. Elle s’appelait Jeanne Hébuterne. Elle aussi, je l’ai mise enceinte. Comme ma santé se dégradait à cause de la drogue et de l’alcool, le médecin nous a conseillé de nous rendre à Nice où l’air est meilleur pour la santé. Le plus souvent, je n’étais qu’une loque. Néanmoins, je n’ai jamais arrêté de peindre. Malheureusement, mes nus, les toiles dont j’étais le plus fier, ont fait scandale. Lors d’une exposition, la police est intervenue et a immédiatement décroché tous les tableaux. Elle a même menacé de saisir toutes les toiles pour « outrage à la pudeur ». À partir de ce moment-là, pPlus personne ne voulait exposer mes tableaux par peur des représailles. Je ne vendais plus rien.
FBC : Néanmoins, vous êtes mondialement connu aujourd’hui. Comment l’expliquez-vous ?
AM : J’ai fait une exposition à Londres à la Hill Gallery. Ce fut un énorme succès. Les journaux internationaux ont commencé à parler de moi. On a exposé mes toiles dans les plus grandes manifestations.
FBC : Mamma mia ! Enfin la gloire alors !
AM : De courte durée ! Après mon autoportrait, ma tuberculose a récidivé et j’ai fait une méningite qui m’a emporté. De nombreux amis ont formé un cortège derrière mon cercueil. Ils m’ont accompagné jusqu’à ma dernière demeure où vous me rencontrez aujourd’hui.
FBC : Paix à votre âme alors.
AM : Non, elle est damnée pour l’éternité. Trois jours après mon décès, Jeanne s’est défenestrée du cinquième étage de l’immeuble où vivaient ses parents. Elle était enceinte de huit mois.