Interview postume de Vilfredo Pareto, l'homme du 80-20
Mon interview d'une célébrité dans La Voce d'octobre 2021 (Franco Berneri-Croce)
Franco Berneri-Croce : Bonjour Vilfredo. Vous êtes né en 1848 et vous avez fait vos études à l’École polytechnique de Turin. Vous étiez économiste, philosophe, mathématicien, sociologie, ingénieur et professeur à l’université de Lausanne. Surtout, vous êtes à l’origine d’un principe, d’une loi même, qui va à l’encontre des idées reçues. En temps normal, on pense qu’il faut faire des efforts sur nos points faibles afin de les fortifier et qu’ainsi on obtiendra de meilleurs résultats. C’est en tout cas le principe de l’éducation scolaire. Vous, vous soutenez le contraire. Vous pouvez nous en dire plus ?
Vilfredo Pareto : Tout d’abord, je voudrais vous dire tout le plaisir que j’ai d’être interviewé pour La Voce, le journal des Italiens en France, que j’ai toujours plaisir à lire. Je suis moi-même né à Paris d’une mère française et d’un père italien.
La loi qui porte mon nom provient du fait que j’avais remarqué que seulement 20% de la population, les plus riches, payaient 80% des revenus fiscaux de l’État, et cela en Angleterre, en France, en Italie, en Suisse, en Prusse et en Russie. Inversement, 80% de la population ne payait que 20% des revenus fiscaux.
FBC : S’il s’agit d’une loi, cette remarque doit s’appliquer à d’autres domaines n’est-ce pas ?
VP : En effet ! Mais en pratique, les chiffres de 80-20 ne sont pas immuables, ils peuvent varier selon ce que l’on étudie.
Voici quelques exemples et je vous ai fait un petit diagramme pour aider à mieux comprendre.
En 1906, j’ai remarqué qu’en Italie 20% des propriétaires détenaient 80% du patrimoine immobilier.
Aujourd’hui, 20% des écrivains réalisent 80% des ventes de livres et inversement.
On pourrait que plus on a de vêtements dans sa garde-robe, plus on change de tenue. Eh bien non ! 80% du temps, on ne porte que 20% des vêtements achetés.
En ce qui concerne la circulation, 20% des routes génèrent un trafic de 80%. Il en va de même pour les lignes de chemin de fer.
Dans le répertoire de votre smartphone, seuls 20% des contacts concentrent 80% des appels.
En bourse, 20% des transactions passées aboutissent à 80% de vos gains et malheureusement 20% de vos trades sont responsables de 80% de vos pertes.
FBC : Et en pratique, comment utiliser au quotidien cette loi qui porte votre nom ?
VP : Eh bien, si vous êtes dans les affaires, il vaut mieux concentrer vos efforts sur un petit nombre de personnes qui vous passe régulièrement des commandes, les fameux 20%, plutôt que d’essayer de convaincre 80% de vos clients qui ne vous sollicitent que pour générer 20% de votre chiffre d’affaires. De même, seuls 20% de vos produits engendreront 80% de vos gains.
FBC : Et si on n’est pas dans les affaires ?
VP : Cette loi est aussi valable. Par exemple, un enfant qui est bon en math et faible dans les autres matières aura intérêt à devenir excellent en maths plutôt que de porter ses efforts sur des matières qui lui correspondent moins. En effet, les maths représentent une importance de 80% dans le système scolaire actuel.
En termes de rendement, 80% du temps que vous passerez à effectuer une tâche, n’obtiendront que 20% d’effet. Inversement, 20% des efforts consentis auront, quant à eux, 80% d’effet.
Je pense aussi aux rubriques d’un journal. A titre d’exemple, mais c’est vrai pour toutes les revues, seulement 20% des pages écrites dans cet excellent numéro de La Voce seront lues par 80% de vos fidèles lecteurs. Autrement dit la majorité des lecteurs ne lit qu’un minimum d’articles. A contrario, 80% de vos pages seront lues par 20% de vos abonnés, c’est-à-dire qu’une petite minorité de lecteurs ne lit le journal qu’en entier, ou presque.
FBC : Ce n’est pas très réjouissant tout cela… Une dernière question. Y a-t-il des contre-exemples à votre loi ?
VP : Oui. Si vous ne répondez qu’à 20% de vos mails, vous n’aurez pas 80% d’efficacité !
FBC : C’est fortement probable et j’essaierai de retenir la leçon. Merci, Vilfredo, et bon anniversaire, car le 15 juillet est le jour de votre naissance !
VP : Oui, mais j’ai déjà soufflé mes bougies.